La graine et le mulet de Kechiche: enfin de la vraie vie!

Publié le par haidjin

Pour tous ceux qui auraient raté ces moments de vraie vie au cinéma, il n'est pas trop tard. Ce film fait fi des codes habituels du cinéma. Il nous touche tout simplement , et on l'aime. D'abord parce qu'il restitue merveilleusement bien les joies , les douleurs , les espoirs de cette communauté ( dont je fais partie) et ce avec beaucoup d'honnêteté et sans complaisance. C'est vrai que c'est à nous de faire le chemin pour déceler , à travers les actes et paroles échangées, la profondeur des sentiments , des émotions, des rancunes aussi parfois , des blocages ou des élans qui bousculent cette cellule familiale. Tout nous est servi sur un plateau . A nous d'apprécier la verve du langage, la profondeur des silences, le poids des traditions, la force d'une solidarité qui se noue et qui résiste aux défaillances ou aux déviances de ceux qui veulent résister au clan. Derriere le visage de ce travailleur, qui parle peu - on lui a appris à se taire - mais qui n'en pense pas moins, combien de couleuvres avalées pour survivre et nourrir les siens ? Ses rapports avec le patron sont nets, concis. Lui sait qu'il travaille depuis l'âge de 16 ans. Son employeur a préféré faire l'économie de quelques années de charges sociales. Il se sait en position de force. Qui pourra prouver le contraire ? Paternaliste jusqu'au bout, il transforme son mensonge en conseil d'ami. Et son ouvrier modèle a appris à courber l'échine. Pourquoi parler d'instrospection ? Auriez vous préféré en voix off une explication de texte avec le personnage qui expliquerait la situation ? Sa façon à lui de répondre, c'est de rester droit et digne, comme on lui a appris , en relevant un défi encore plus grand, avec l'appui des siens. Mais sa fille a bousculé la tradition. Ouvrière elle aussi, elle a appris que rester digne et fière, cela passait aussi par le syndicalisme, pour faire respecer ses droits . Et cette lutte lui a appris à verbaliser . Elle ne laissera plus le silence répondre aux mensonges. Elle est capable de prendre la parole contre le patron, mais aussi contre son frère , si il ne va pas dans le droit chemin. Elle se rendra peut être un peu moins compte, par le dressage musclé de sa fille pour le pot, qu'elle reproduit et véhicule des schémas dont il est très difficile de se débarasser. Kechiche a réussi le tour de force de montrer des personnages très différents, rompant pour une fois avec les portraits hâtifs et stéréotypés des maghrébins dans le cinéma contemporain. Ici, on a le choix entre des silencieux, des bavards au langage savoureux ( comment ne pas penser à Pagnol ?) des femmes soumises et des femmes rebelles,des enfants sages et d'autres turbulents ... Il n'est pas resté à la périphérie de ses personnages. Sans que cela soit énoncé, on peut partager les systèmes de valeur et les désirs de chacun. On montre ici une femme musulmane vivant sa croyance, simplement , au quotidien. Elle pense à l'assiette du pauvre mais ne sera pas inhibée pour tenir tête à son mari et lui imposer son choix de vie. Les petites rivalités féminines sont racontées avec candeur et humour. Kechiche nous fait meme partager les humiliations et les chagrins que les uns et les autres sont contraints de subir. Tout est raconté avec tact et vérité. Si parfois certaines scènes paraissent basculer vers l'hystérie, c'est que les rapports humains sont très exacerbés et les émotions - parfois tues trop longtemps, explosent souvent ainsi. Il y a bien longtemps que je n'avais pas vécu autant de vérité au cinéma. CB Nov 2008

Publié dans Passion cinéma

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